Bruno Egron : interview


A l’occasion de la publication de la 2ème édition de l’ouvrage de référence « Scolariser les élèves handicapés mentaux ou psychiques », Bruno Egron, coordinateur et 1er Vice-Président de l’Entraide Universitaire, présente les enjeux de leur scolarisation et des réponses que notre association peut y apporter.

Quelles motivations ont conduit à la publication de cet ouvrage devenu aujourd’hui une référence ? Quelles sont les nouveautés de cette 2ème édition ?

Au début des années 2000, il n’existait que très peu d’ouvrages pédagogiques, écrits par des enseignants, sur l’accompagnement scolaire des élèves handicapés mentaux en France, à la fois parce que le discours dominant était celui des « psy » et que de nombreuses querelles quant à l’origine des troubles parasitaient toute présentation de pratiques éducatives ou pédagogiques. L’arrivée de la notion de besoin éducatif particulier et la demande forte d’apprentissages scolaires de la part des familles ont permis de libérer les pratiques en les appuyant non pas sur les nosographies et les théories explicatives des troubles, mais sur les symptômes et les besoins.
Je constatais aussi sur le terrain de nombreuses pratiques efficaces qui malheureusement disparaissaient avec leurs auteurs, avant d’être ensuite redécouvertes par d’autres. Bref, nous n’avions pas de mémoire professionnelle, ce qui est un frein au développement d’une pédagogie adaptée, cela au détriment avant tout de nos élèves.
L’ouvrage « Scolariser les élèves handicapés mentaux et psychiques », paru en 2011, présente les 4 troubles principaux : déficience intellectuelle, troubles du comportement, troubles du spectre autistique et troubles psychiques, et les fonctionnements institutionnels. Mais il se centre surtout sur les pratiques adaptées en proposant outils (par exemple comment identifier les besoins des élèves) et descriptions de démarches (par exemple l’apprentissage du français avec des élèves autistes). Mon ancienne fonction d’inspecteur -formateur à l’INSHEA  m’a permis de réunir des universitaires, des conseillers pédagogiques, des enseignants spécialisés, des inspecteurs de l’Education nationale autour de ce projet.
Ce choix éditorial, et la qualité des articles, ont été payants puisque l’ouvrage a obtenu un fort succès dans le petit monde de l’enseignement spécialisé. Il est un des plus cités dans les bibliographies des mémoires CAPA-SH  et beaucoup de ses outils sont repris par les acteurs institutionnels et les professionnels, enseignants comme éducateurs.
L’évolution des politiques et des pratiques a nécessité une réédition actualisée, parue en février 2017. Outre l’évolution des dispositifs (le passage des Clis en Ulis-école, le développement des unités d’enseignement …), nous avons introduit le Gevasco , les pratiques numériques, l’enseignement professionnel et la reconnaissance des compétences professionnelles qui sont actuellement le point faible, et en développement, de la formation des jeunes handicapés.

Que pensez-vous de la prise en charge des handicaps mentaux et psychiques dans les établissements médico-éducatifs aujourd’hui en France ? Quelles sont selon vous les choses à améliorer ?

Premier constat, la loi de 2005 a peu modifié le fonctionnement des établissements médico-éducatifs, ni dans les effectifs, ni dans les contenus d’apprentissage, ni dans les modalités de scolarisation, et encore moins dans la formation professionnelle. Ceci malgré un changement notable du profil des enfants accueillis, qui présentent plus de troubles associés et/ou de troubles multiples, et qui sont en moyenne plus âgés (l’Ecole primaire accueille une majorité d’entre eux). Les causes sont multiples, une de celles qui actuellement focalise mon attention est la présence majoritaire d’enseignants de statut privé sous contrat, que les établissements ont du mal à recruter et à maintenir sur poste. En grande partie, ils n’ont pas de formation initiale ni continue. Nous réfléchissons à l’Entraide universitaire aux moyens d’améliorer la technicité de nos enseignants.
L’inquiétude, compréhensible des équipes des IME par rapport à la société inclusive vers laquelle nous nous dirigeons, la peur d’une disparition ou d’une « dissolution » dans l’Ecole (qui n’adviendra pas), expliquent cette difficulté à se positionner comme un acteur engagé de cette politique. De même que la création des services de soins  n’a pas diminué les places en établissements, la « désinstitutionnalisation » n’amènera pas la disparition des établissements médico-éducatifs. Cependant, ils devront se transformer. D’ici quelques années, les unités d’enseignements seront toutes ou en très grande majorité dans les écoles, collèges et lycées, à l’instar de ce qui se passe dans d’autres pays de l’OCDE, et les demandes iront vers plus de temps de scolarisation, et plus de formation professionnelle. Cela entrainera une réorganisation des fonctionnements et des interventions éducatives et thérapeutiques, plus en accompagnement de cette scolarisation, en appui aux élèves, aux enseignants et aux familles. Il est nécessaire d’ores et déjà de réfléchir, expérimenter des fonctionnements, plutôt qu’avoir à les subir.

Quelles contributions pensez-vous que le corps éducatif, les associations spécialisées et l’Entraide Universitaire en particulier puissent y apporter ?

Le souhait de la société inclusive de voir tous les enfants partager les mêmes lieux de vie, dont l’Ecole, ne signifie pas que cette dernière soit en mesure seule de le faire. Je constate qu’actuellement, si elle a répondu quantitativement à la demande sociale (plus des deux tiers des enfants handicapés sont scolarisés en milieu ordinaire), il lui reste à améliorer qualitativement cet accueil. Les accompagnements éducatifs et thérapeutiques sont et resteront nécessaires, et ils devront se construire en partenariat autour de et avec l’Ecole, C’est une vraie révolution qu’il faut, je me répète, réfléchir et anticiper dès maintenant.
Dans la mesure où l’inclusion des enfants qui nous sont confiés est un projet politique partagé, c’est le rôle des associations que de promouvoir et d’accompagner cette réflexion. En demandant au politique les moyens législatifs et matériels pour ce faire, en sollicitant les équipes pour engager cette réflexion, en étant à leur coté pour soutenir ou étayer leurs propositions, en leur proposant les formations nécessaires, en valorisant et diffusant les expériences positives.
L’Entraide universitaire se place dans cette perspective, sans engagement aveugle, en tenant compte du choix sociétal, mais aussi des choix des familles (qui ne sont pas automatiquement identiques au choix sociétal), des possibilités locales, des engagements des équipes, et de l’intérêt des enfants qui nous sont confiés. Ce sera l’objet de notre prochain colloque, et l’orientation principale de la commission scolarité dont je viens, à la suite de Bernard Gossot, de prendre la coordination, et à laquelle j’invite tous les professionnels intéressés à y participer.